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ARTHUR CHAMBRY

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DES TRANCHES DE PAIN DE MIE AU BEURRE

 

Quels poumons assez volumineux pouvaient bien laisser un cri aussi long ?

Elle semblait guidée, depuis des mois par ce son lourd et puissant dont la mélodie descendait une longue pente sans fin.

Ce vieux village qu’elle traversait à présent proposait un par terre de pavés noir et blanc qui l’aidaient à ajuster l’écart de ses pas.

La tête baissée elle observait, l’air ensorcelé, ses longs pieds qui salissaient le motif répété des pavés. Elle avançait comme le Fou, en diagonale. Cette marche semblait interminable. Les oreilles, elles, se dévouaient toujours à sniffer ce long cri persistant. Le sol maintenant commençait à s’obscurcir. Depuis le lointain, une ombre gommait progressivement le blanc du damier, cette teinte obscure poursuivait une expansion inimaginable. On devinait maintenant une longue silhouette noire dont la mâchoire se soulevait par à-coups. Sur le long cri persistant s’additionnait maintenant le chant de ce spectre grandissant. Sa voix grave trouvait écho dans tout le village.

 

 

« Si ça te brule c’est normal,

dans ta peau, dans ta bouche, dans ton crâne

c’est le mal qui s’installe.

 

C’est mon haleine désormais que tu sens

tu n’as plus que le goût

de chacune de mes dents.

 

Je le vois, je l’entends

j’adore ça quand ça circule dans ton sang.

 

Maintenant, regarde bien,

J’injecte du rouge dans tes yeux.

 

Tu ne vois plus rien,

c’est moi qui te guide.

 

Tu ne vois plus rien,

je t’approche du vide.

 

Quand tu entends des voix

tu sais très bien qui c’est

je te suis partout, je sais où tu vas.

 

Quand tu entends des voix

tu sais très bien qui c’est

je te suis partout, je sais où tu vas.»

 

 

Les dernières phrases de la chanson se répétaient comme un refrain et le tempo augmentée de sa marche cognait maintenant en rythmes avec ces mots.

Dans cet état horriblement hypnotique, elle manqua de peu d’écraser cette minuscule créature dont la peau blanche s’associait à une combinaison particulièrement colorée.

Celle-ci, paniquée par la menace des semelles, s’échappa dans une maison voisine. Les notes d’un piano désaccordé venaient au même instant s’échapper par la fenêtre de la demeure.

Elle entra timidement dans cette maison à l’odeur de beurre chaud et dont l’humidité avait dû y faire grandir des champignons nauséabonds.

La petite créature colorée courait en ligne, comme la Tour, sur le noir et blanc des touches du piano. Ses allers-retours incessants laissaient entendre une mélodie caractéristique ; entre montées et descendantes elle avait tout l’air de revêtir la qualité d’un signal, d’une alerte, d’une chose à annoncer. En effet quelques instants plus tard une voix, comme appelée, s’invita sur la courbe mélodique désaccordée du piano. Elle provenait de la pièce à côté et les murs, malgré leurs épaisses peaux, s’étaient décidés à laisser sortir ces paroles.

 

 

« Il songe

À l’amour

Aux échecs,

À la réussite

Il déplace

Ses deux tours

Sur des cases

Anthracites

 

Elle aime

Les empreintes

Celles qui restent

Dessinées

Sur une case

Déteinte

Elle laisse celles

Du cavalier»

 

 

De la fumée sortait par la porte de la pièce d’où la voix chantée fuyait et l’odeur de beurre chaud se mélangeait désormais avec une de blé cuit. D’un coup, une sorte de pantin immense sortit de la pièce en compagnie d’un épais brouillard, sa peau entièrement nue paraissait semblable à la croûte d’un pain. La petite créature à la combinaison colorée s’arrêta net dans ses allers-retours et s’assit sur le ré grave du piano tout en remettant en place son petit chapeau conique. Un étrange silence s’était installé dans le triangle de leurs présences. Le refrain terrifiant de l’ombre dehors avait cessé, le piano laissait mourrir son ré, et la chanson du pantin avait vraisemblablement trouvé une conclusion. Mais on flairait toujours dehors au loin ce cri continu dont l’origine demeurait inconnue. Le pantin à la croûte de pain s’assit sur une chaise à proximité et commença a découper sa jambe en tranches.

« Tu veux une tranche de pain de mie au beurre ? » demanda-t-il.

Elle resta figée et observa cette scène inouïe puis posa son regard sur la petite créature assise sur le ré, sur la jambe de mie qui se découpait, sur le sol, le plafond puis sur les murs. De nombreuses peintures habillaient les surfaces de la maison, toutes avaient les mêmes dimensions : petites et carrés, et toutes étaient bordées d’une fine croûte beige.

Pendant cette longue observation la question du pantin resta sans réponse. Il s’était mis alors à tartiner ses tranches, le beurre qu’il déposait trouvait plusieurs couleurs. On devinait des formes, des ombres et des visages.

« Tu veux une tranche de pain de mie au beurre ? » répéta-t-il.

 

 

 

 

Texte pour l'exposition de Victoria Palacios "Kalon Glaz"

@Panamax

Novembre 2022

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